Témoignages

Les marchés financiers ont un nouvel horizon temporel

L’autorité de surveillance des marchés financiers américains (SEC) impose une réforme liée au temps nécessaire à l’exécution des ordres de bourse. À moyen terme, l’Europe – et donc la Suisse – devraient suivre un mouvement qui n’est pas sans conséquences pour les équipes de la Salle des marchés, le département Opérations et d’autres services de la Banque.
| Par Julien Loubatier et l'équipe de Support opérations process et projets, coll. Anne Gaudard, BCV

Dès le 28 mai, sur les bourses américaines, le cycle de règlement standard des transactions contre paiement est raccourci. Il passe de deux jours ouvrables après la date de transaction (T+2) à un seul (T+1).

La tendance est à l’accélération. Le laps de temps entre l’ordre donné pour une transaction boursière et son règlement s’oriente à moyenne échéance vers l’instantanéité. Un nouveau pas dans cette direction a été franchi. Le 15 février 2023, la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité de surveillance des marchés financiers américains, soit l’équivalent de la FINMA aux États-Unis, a annoncé le raccourcissement du cycle de règlement standard des transactions contre paiement de deux jours ouvrables après la date de transaction (T+2) à un seul (T+1). Cette décision entrera en vigueur le 28 mai prochain et concerne tous les titres américains éligibles à la compensation et au règlement via la Depository Trust Company (DTC). (Voir encadré).

Ainsi, si vous achetez ou vendez une action, une obligation, une part de fonds ou tout autre titre coté sur le marché américain, le temps écoulé entre le moment où votre ordre est donné et le moment où le règlement contre paiement est réalisé est aujourd’hui encore de deux jours et ne sera que d’un jour dès le 28 mai.

Pour vous, acheteur ou vendeur, la différence est infime, car le risque de crédit est assuré. La décision devrait cependant vous permettre d’obtenir une meilleure transparence sur le déroulement de votre opération. Autre explication du législateur: en cas de forte volatilité des marchés, le risque est réduit pour la clientèle.
 
Au-delà de la vitesse

Pour Fabien Bruegger, responsable du Service d’exécution à la Salle des marchés de la BCV, les avantages sont nombreux. Il cite la réduction des risques de contrepartie et opérationnels, notamment durant les périodes marquées par des volumes élevés et une grande volatilité; la réduction des besoins en liquidités et des gains d’efficience au travers de la nécessaire modernisation des infrastructures. Il ajoute que tout ceci doit entraîner une standardisation et une automatisation de processus encore aujourd’hui effectués de manière manuelle.

"Nous avons aussi développé une nouvelle transaction Osiris permettant de refléter le flux de cash lié aux transactions boursières et automatiser le calcul et l’envoi nocturne de messages SWIFT, pour la couverture de nos opérations», précise Mariana Andriotis, responsable du département Opérations.

Adaptation des processus

Pour les intervenants tout au long de la chaîne de transaction, ce petit jour de différence représente un long travail de mise à jour des processus que ce soit au niveau technique, juridique, de compliance ou administratif. C’est notamment le cas à la BCV, qui doit adapter ses services d’ici à fin mai. (Lire encadré) Elle doit pouvoir garantir que les ordres donnés entrent dans le système en place dans les délais afin qu’ils soient exécutés à temps par les opérateurs sur le marché américain. Car plusieurs intermédiaires interviennent entre la Banque et Wall Street, dont le fournisseur de services financiers SIX SIS ou encore le groupe financier Citi.

Ainsi, pour répondre aux nouvelles exigences de la SEC, les services de la BCV ont notamment introduit dès le mois de mars deux nouveaux batchs (tâche donnée à un ordinateur pour automatiser une commande ou une suite de commandes) pour assurer le traitement des ordres de bourse et l’envoi des instructions de règlement jusqu’à la clôture des marchés nord-américains.

«Nous avons aussi développé une nouvelle transaction Osiris permettant de refléter le flux de cash lié aux transactions boursières et automatiser le calcul et l’envoi nocturne de messages SWIFT, pour la couverture de nos opérations», précise Mariana Andriotis, responsable du département Opérations.

Quels sont les services de la Banque concernés?

Dans la Banque, la décision de la SEC concerne les services impliqués dans la chaîne de règlement des transactions, mais pas seulement. De nombreux processus transverses sont en effet affectés dans tous les domaines. À titre d’exemple:

Ce qui signifie que de nombreuses entités sont concernées: Juridique, Trésorerie, Forex, Salle des marchés, Gérifonds, Banque dépositaire, Asset Management, Politique d’investissement, Opérations, etc.

En mai, le temps sera venu de mettre les applicatifs à jour avec le paramétrage de la nouvelle date de règlement à T+1. «Il a aussi fallu s’assurer de la bonne adaptation des différents reportings réglementaires, mais aussi des reportings transmis aux directions de fonds, dont la BCV est banque dépositaire», complète Maryline Spycher, experte banque dépositaire.

Cette «préparation minutieuse et transverse a impliqué une dizaine d’équipes pour garantir une transition fluide et efficace vers le T+1, tout en répondant aux exigences strictes du marché et de notre dépositaire global SIX SIS», ajoute Mariana Andriotis.

Bientôt en Europe?

Si, pour l’heure, la décision concerne les titres échangés sur le marché américain, le fait que les autorités canadiennes et mexicaines aient également approuvé un raccourcissement équivalent à la même date laisse à penser que d’autres marchés s’apprêtent à suivre le mouvement.

Comme les marchés des capitaux sont de plus en plus globaux, les marchés européens et le marché suisse vont vouloir éviter un écart potentiel de compétitivité avec d’autres places financières et d’autres acteurs. Il est d’ailleurs intéressant de noter que lors du passage de T+3 à T+2, le mouvement était parti d’Europe. De ce côté-ci de l’Atlantique, la décision pour un passage à T+1 est dans le pipeline politique.

Vers un avenir encore plus rapide?

Et ce n’est pas fini. La SEC envisage en effet une transition T+0, c’est-à-dire au règlement à la fin de la journée de la date d’opération. Cette nouvelle réduction est aujourd’hui incompatible avec l’écosystème de règlement en fonction. Elle nécessiterait des modifications fondamentales des systèmes et exigerait des processus d’après transaction inexistants aujourd’hui.

Quels sont les titres en question?

La décision de la SEC concerne tous les titres américains éligibles à la compensation et au règlement via la Depository Trust Company (DTC).

Qu’est-ce que la Depository Trust Company?

La DTC est une société qui a la fonction de dépositaire central des titres échangés sur les marchés américains. Elle fournit des services d’enregistrement direct et de souscription, elle assure la garde des titres grâce à la tenue de registres électroniques, elle fait aussi office de centrale de compensation pour traiter et régler les transactions de titres. Entre autres activités.

Que signifie être éligible à la DTC?

Un titre, pour être éligible, doit être librement négociable selon les lois américaines sur les valeurs mobilières.

En d’autres termes, sont concernés:

  • Actions
  • Obligations
  • Fonds de placements
  • ETF (Exchange Traded Funds), fonds cotés répliquant des indices
  • ADR (American Depositary Receipts), instruments financiers permettant aux compagnies étrangères d’être cotées sur le marché américain

 

Un grand merci particulier à:

Marie-Noelle Barthel, première mission en tant que Business analyst à la BCV. Elle a su capitaliser sur sa grande connaissance du secteur bancaire, et des opérations en général, pour analyser les besoins du régime sous T+1, et proposer des solutions concrètes. Elle a modélisé des processus métiers qui n’avaient plus été étudiés depuis longtemps, et a pu résoudre les problèmes que nous avons rencontrés.

Andreia Fidalgo Vaz, responsable opération application (ROA). Également un de ses premiers projets à la Banque. Un projet qui doit coordonner les tests de façon transverse et front to back. Ce qui est une approche inédite pour le département Opérations, avec l’intervention de plusieurs divisions du front. Elle a su insuffler un esprit d’équipe dans les nombreux services distincts, afin de mener le projet vers une livraison réussie.

Magali Cloux, cheffe de service Back-office Execution. Par sa maitrise des opérations de bourse et son expertise, elle a pu orienter et développer les solutions proposées par l’équipe projet, suggérer des solutions techniques réalisables avec les ressources à disposition. Son attention aux détails sur tous les processus complexes et ses compétences fonctionnelles notamment sur l’outil NEGO nous ont permis de mieux nous projeter sous le régime de T+1.

Nathalie Raguin, cheffe de projet IT (du fait du fonctionnement en mode projet de la banque par année calendaire). Elle a lancé le projet en début d’année et livrera toutes les fonctionnalités nécessaires pour la fin mai… C’est remarquable. Elle a toujours été orientée vers la recherche de solutions depuis le premier jour.

Julien Loubatier, Support opérations, process et projets