Impulsion

«Avec la peinture, on est soi-même, on s’affirme différemment.»

Raffaella Bruzzi, Étienne Jobin et Jocelyne Messas, tous trois travaillent à la BCV et manient le pinceau depuis des années. Une passion qu’ils ont investie chacun autrement, mais avec rigueur. Partagée au sein de la Banque, elle crée des liens et des initiatives inédites.
| Par Camille Andres

L’envie de peindre peut prendre des détours inattendus. Elle s’est invitée dans la vie de Raffaella Bruzzi, gestionnaire spécialiste aux Avoirs sans nouvelles, dans une période très particulière de sa vie. Après un cheminement pluriel — de l’ingénierie et de la recherche scientifique au monde bancaire, tout en traversant «l’intensité parfois bouleversante de la maternité» (elle est maman de trois enfants) — la peinture s’est imposée à elle. «Je me suis lancée un peu par hasard, mais les émotions et les sensations que j’ai ressenties en réalisant ce premier travail sont…» — elle s’interrompt: les mots manquent à cette artiste au souvenir de ce qui s’est avéré une révélation. Aujourd’hui confirmée, elle a exposé dans des galeries renommées (Fondation l’Estrée, Art Fair de Beaulieu, par exemple).

À ses côtés, Jocelyne Messas — alias Joce ou, artistiquement parlant Jocey —, responsable des réseaux sociaux de la Banque, se souvient d’un déclic plus progressif. «J’ai commencé à peindre au cours d’une période sombre, fin 2022; je traversais alors des insomnies.» Mais la démarche a été tout aussi décisive. «J’ai démarré en suivant des comptes Instagram d’art-thérapie, en créant de petites choses répétitives qui calmaient mon esprit, sans aucun objectif de résultat… Et puis, petit à petit, un style s’est développé. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun problème de sommeil, mais la peinture est restée dans ma vie, c’est une passion!»

Étienne Jobin, membre de l’État-major de la division Private Banking, dont certains fidèles de Convergences connaissent le parcours, a, lui, toujours aimé «retranscrire le réel»: «c’était dans l’ADN paternel, mon père nous a transmis son amour du dessin. Deux de mes sœurs ont aussi cette capacité créative»; c’est en 2019, alors que ses deux enfants sont adultes et commencent à quitter la maison, qu’il «redéveloppe» ce goût pour la création. «Ma fille m’a alors dit: vas-y, lance-toi, fais-toi un profil sur les réseaux!»

Raffaella Bruzzi

«L’art abstrait m’offre la liberté que je cherche. J’aime le fait de découvrir par moi-même ce que donne un mélange de couleurs, ou de techniques. C’est autrement plus satisfaisant que d’apprendre de manière classique. J’expose beaucoup et chaque partage m’inspire. Les critiques mêmes négatives, je les assume».

Jocelyne Messas

«Je ne peins pas pour décorer. Je peins pour révéler. Pas moi-même, mais ce que l’œuvre déclenche en vous. Il y a aussi une sorte de jeu dans le processus. Tout n’est pas planifié et j’aime que ce soit ainsi. Les gens voient souvent des choses que je n’ai pas mises là consciemment. Mais s’ils les ont vues… alors, ça existe.»

Des univers puissants et aboutis

Instagram: les trois artistes y sont présents, leur compte ouvre sur leurs univers, chacun puissant et soigné. Très onirique et poétique avec les aplats mêlés de pigments naturels de Raffaella Bruzzi. Dynamique et affirmé chez Jocelyne Messas, qui n’hésite pas, au moyen de courtes vidéos, à dévoiler des étapes de son processus créatif. Coloré et déstructuré chez Étienne Jobin, dont les lignes brisées sont la patte. Cette présence sur le réseau social n’a rien d’anodin, elle révèle combien les trois autodidactes, aux styles très différents, investissent cette activité avec sérieux et rigueur. Tous consacrent déjà un temps non négligeable à leur activité. «Je ne me lance jamais pour une heure. Je peins seulement si je ressens un besoin d’immersion pour me libérer de tout le reste, je lance ma playlist et c’est parti. Un peu comme partir pour faire du sport et se ressourcer», révèle Étienne Jobin.

Défis et instinct

Si on est frappés par l’intensité, la rigueur et le professionnalisme de chacun, les trois créateurs et créatrices constatent en échangeant que leurs perspectives diffèrent. «Pour moi, cela reste avant tout un hobby. Si je pouvais, j’y passerais peut-être plus de temps... Actuellement, j’ai envie d’aménager chez moi un atelier que je n’ai pas encore», explique Étienne Jobin. Il poursuit sa technique de prédilection – le pastel sec –, et n’aime rien tant que de se lancer des défis.

Jocelyne Messas développe un langage visuel à la croisée de l'abstraction, du cubisme libre et de l'art urbain. Travaillant à l'acrylique et au Posca sur toile. Ses peintures agissent comme «des miroirs visuels: le même détail peut évoquer un visage, un animal, un objet...» Elle expose jusqu’au 31 octobre à The House of Art, un showroom genevois. Pour Raffaella Bruzzi, qui a déjà réalisé un grand nombre de toiles, la peinture occupe désormais une grande partie de l’existence. «Je peins quand j’ai le temps, les week-ends, les nuits, je lance plusieurs toiles en parallèle, c’est instinctif. Je me laisse guider par le processus… Ces moments passés seule face à mes toiles constituent pour moi un besoin vital de connexion à moi-même et aux autres.»

Reconnaissance et affirmation

Se dévoiler sur les réseaux sociaux ou ailleurs, c’est aussi une manière d’entrer en lien avec un public. Raffaella Bruzzi, dont «le planning d’exposition est plein jusqu’en 2027», vit d’ailleurs «des rencontres incroyables». Lors de «ma dernière exposition «Odyssées», à l’hôpital de Morges, les nombreux retours m’ont profondément touchée. Ils m’ont rappelé que l’art n’est pas une fin en soi, mais un chemin de partage, d’écoute... Je garde aujourd’hui dans mon cœur toutes ces rencontres comme une source de joie et d’inspiration».

Étienne Jobin

«Ma technique, c’est le pastel sec, j’aime la décliner. J’adore peindre le ciel et la montagne, mais j’aime varier et explorer de nouveaux univers. L’an passé, j’ai illustré le polar de mon épouse avec six œuvres. Et en ce moment, par exemple, j’aime décliner les flous, les nuages de fumée, avec des jeux de lumière. Ça me prend du temps, mais c’est captivant.»

Elle accepte aujourd’hui de vendre des toiles, «qu’il faut savoir laisser partir, comme des enfants qu’on a élevés!», mais cela reste «juste une cerise sur le gâteau» et non l’objectif principal. Une approche partagée par Jocelyne Messas, qui commercialise aussi ses œuvres, pour un prix «qui permet juste de réinvestir dans le matériel nécessaire». «Ce qui est incroyable», poursuit-elle, «c’est de se dire que quelque chose que j’ai créé se retrouve sur le mur de quelqu’un. C’est à la fois très intime et extrêmement valorisant, c’est une reconnaissance très forte».

«En peignant, on est soi-même, on s’affirme différemment», complète Raffaella Bruzzi. «Oui complètement. C’est un équilibre, mais qui force aussi à sortir de sa zone de confort», leur lance Étienne Jobin, qui ne vend ses toiles que sur demande et les prête à son entourage pour qu’elles soient aussi exposées chez eux.

Créer une dynamique entre artistes

Tous trois se retrouvent régulièrement en dehors de la Banque. Raffaella Bruzzi, interviewée par des magazines spécialisés, jouit d’une solide notoriété. Une renommée synonyme de réseau, qu’elle se fait fort de partager avec ses deux collègues.  «On échange sur des lieux où exposer, des conseils… Dans ma famille, personne ne vient du monde de l’art alors apprendre de personnes plus confirmées, écouter leurs témoignages c’est enrichissant», explique Jocelyne Messas.

Aujourd’hui, elle partage avec ses collègues une envie: trouver «un mur» où elle pourrait se lancer dans une œuvre de grand format. Raffaella de son côté exposera bientôt à la galerie du château à Renens (vernissage tout public, le 7 novembre). Et Étienne partage son challenge du moment: «j’aime me lancer des défis et changer de sujets. Actuellement, je revisite des portraits d’actrices hollywoodiennes mythiques et ensuite j’ai aussi envie de produire de plus grands formats.»

Tous trois seraient très motivés pour lancer quelque chose et pourquoi pas à la BCV. Les idées ne manquent pas à Raffaella Bruzzi, visiblement rodée aux dossiers de présentation et encline à démarrer un nouveau projet. Du trio a surgi une belle ambition: donner vie à une exposition commune, pensée autour d’un thème à convenir. Il reste à trouver un espace pour l’accueillir.

Des univers à retrouver en ligne

Raffaella Bruzzi 
@raffaellabruzzi_art (Instagram) et www.raffaellabruzzi.com

Jocelyne Messas
@art_jocey (Instagram) et www.jocey-art.com

Étienne Jobin
@jobinetienne_art (Instagram) et www.etienne-art.com