Tendances

Néobanques: étoiles filantes ou astres durables?

Elles se positionnent pour l’heure comme des banques secondaires, essentiellement axées sur les services de paiement. Mais elles ne comptent pas s’arrêter là.
| Par Nicolas Gay-Balmaz

Annoncée depuis longtemps, la révolution fintech prend une dimension très concrète avec le succès grandissant des néobanques, des nouveaux acteurs offrant leurs services exclusivement au travers d’une app mobile. Les plus actives en Suisse sont la britannique Revolut, l’allemande N26 et, dans une moindre mesure, des acteurs domestiques comme Neon ou Zak (Banque Cler).

L’arrivée sur le marché suisse de ces nouveaux acteurs est observée de près à la BCV, tant du point de vue de l’adoption de leurs services par les clients suisses que de celui des fonctionnalités innovantes qu’ils introduisent. C’est au département Multicanal, qui assure le développement des fonctionnalités digitales et rend compte des grandes évolutions technologiques, que s’effectue cette veille. «Les néobanques redéfinissent les attentes des clients jeunes ou de leurs ainés rompus aux nouvelles technologies, et les acteurs bancaires traditionnels se doivent désormais d’en tenir compte dans le développement de leurs propres services», avertit Nicolas Dorsaz, Responsable Veille et Innovation au département Multicanal de la BCV.

Mais qu’est-ce qui distingue ces nouveaux entrants des banques classiques?
Différenciation d’accès

Les néobanques ne disposent d’aucun point de représentation physique. Elles sont uniquement accessibles à travers une application mobile. Leur guichet unique est l’écran d’un smartphone à travers lequel elles fournissent des services entièrement dématérialisés.

Différenciation de services

Les néobanques offrent un éventail de prestations limité qui se résume souvent à un compte courant associé à une carte de débit ou à une carte de crédit prépayée. Les néobanques se concentrent ainsi essentiellement sur les services de paiement. Elles ne proposent pas de véritables produits d’épargne ou de placement et ne font généralement pas crédit.

Différenciation de nature

Certaines néobanques ne sont pas vraiment des banques. Elles bénéficient en effet d’un cadre réglementaire plus souple que les banques traditionnelles en raison de leur périmètre d’activités plus restreint. «Cette différenciation de nature tend toutefois à s’estomper, car de plus en plus de néobanques sollicitent des licences bancaires», relève Nicolas Dorsaz. Ainsi N26 et Revolut ont respectivement obtenu en Allemagne et en Lituanie le précieux sésame qui leur ouvre les portes de l’Europe. Faute de licence bancaire en Suisse, ces deux sociétés ne bénéficient néanmoins pas de la Garantie des dépôts suisse.

Les néobanques offrent donc un accès monocanal, un éventail de services plutôt étroit et une sécurité des dépôts moindre que les banques traditionnelles. Alors, pourquoi ce succès?

Au département Multicanal, Nicolas Dorsaz observe et rend compte des grandes disruptions technologiques susceptibles de bouleverser le monde bancaire.

L’interface de N26. Les applications mobiles des néobanques valorisent l’immédiateté et offrent des fonctionnalités innovantes.

Des applications efficaces

C’est d’abord l’efficacité de leurs applications qui correspondent aux nouvelles habitudes des consommateurs, notamment à celles d’une population jeune, cosmopolite et adepte du tout-numérique. «Les néobanques misent ainsi sur des interfaces d’une remarquable convivialité qui permettent une navigation fluide et offrent des fonctionnalités innovantes», observe Nicolas Dorsaz. Ces applications valorisent particulièrement l’immédiateté: ouverture de relation en quelques minutes, notification des mouvements de compte, actualisation des soldes en temps réel, virement par numéro de téléphone...

Des tarifs agressifs

L’autre qualité essentielle des néobanques est d’appliquer la gratuité à certains services et de pratiquer des tarifs ultra-compétitifs dans les domaines des paiements. Cette stratégie est d’autant plus habile que les consommateurs, chauffés à blanc par une décennie de bank bashing, sont devenus extrêmement sensibles à la question des tarifs bancaires. Généralement, les néobanques n’appliquent pas de frais à la gestion des comptes; elles fournissent gratuitement les cartes de débit qui y sont associée; elles ne taxent les retraits en cash auprès d’un établissement concurrent qu’à partir d’un certain montant; enfin, elles permettent d’effectuer des virements ou des paiements à l’étranger dans des dizaines de devises au taux de change interbancaire, sans commission.

Course à la croissance

L’offre des néobanques fait de plus en plus d’adeptes. Selon des chiffres récents, Revolut a plus que doublé de taille en 2019 et compte plus de 250 000 clients en Suisse. Cette croissance ultrarapide de la base clientèle fait intégralement partie de la stratégie des néobanques. Elle est un prérequis indispensable pour pouvoir atteindre le «break-even», le point où leurs revenus limités commencent à être suffisants pour dégager un profit .

La réponse de la stratégie Vista

Comment Vista répond-elle aux défis que nous lancent les néobanques? Réponses avec Joao-Antonio Brinca, responsable du département Stratégie et organisation et qui a collaboré à l’élaboration de la stratégie 2020-2025.

Les néobanques représentent-elles une menace réelle pour la BCV?

Les néobanques ne constituent pas pour nous une menace systémique. Avec leur offre fragmentaire, elles sont loin de pouvoir répondre à l’ensemble des attentes usuelles de la clientèle bancaire en Suisse. Nous devons néanmoins nous montrer vigilants, car ces nouveaux entrants essaient, grâce à des propositions de valeurs percutantes, de nous couper de sources de revenus non négligeables. La menace est donc réelle, mais elle est bien identifiée. Elle nous contraint à mener une réflexion de fond pour répondre à une problématique qui s’inscrit dans la durée. Les néobanques ont en effet levé suffisamment de capitaux pour créer des turbulences dans le paysage bancaire pendant encore plusieurs années.

La BCV est-elle bien armée pour affronter les banques mobiles?

Globalement nous sommes bien armés. Notre offre digitale est considérée comme l’une des plus complètes et des plus performantes du marché suisse. Elle recueille régulièrement d’excellentes notes dans les tests d’évaluation des utilisateurs. Nos applications sont appréciées pour leur simplicité et pour leur large éventail de prestations, qui vont jusqu’au renouvellement d’hypothèques en ligne ou à la souscription de fonds d’allocation d’actifs, des services que les néobanques sont aujourd’hui incapables de fournir.

Comment la BCV prépare-t-elle la riposte aux néobanques?

Les néobanques ont établi de nouveaux standards en matière numérique. Même si nous sommes bien positionnés, nous devons encore améliorer la convivialité de nos applications et mettre à disposition de nos clients de nouvelles fonctionnalités. Ces ajustements nécessitent essentiellement des développements techniques et une bonne coordination avec nos prestataires externes comme Viseca Card Services. Une feuille de route claire a été établie dans ce sens.

Parallèlement, nous engageons une réflexion sur le périmètre de nos offres et sur la tarification de nos prestations dans les domaines où les néobanques pratiquent les prix les plus agressifs. Nous devons calibrer notre réponse pour défendre au mieux notre rentabilité. Notre approche doit notamment tenir compte des éventuels changements observés dans le comportement de la clientèle et des positionnements adoptés par nos principaux concurrents.

Joao-Antonio Brinca, responsable du département Stratégie et organisation, a œuvré à l’élaboration de la Stratégie Vista qui apporte une réponse adaptée à la menace que constituent les néobanques pour la BCV.

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Par Cédric Gilliard, BCV